Les 9 villages fantômes du nord de la France

Les 9 villages fantômes du nord de la France

Pendant plus de 300 jours pendant la Première Guerre mondiale, ces villages ont été complètement anéantis – ainsi que des centaines de milliers de soldats français et allemands – pendant la bataille de Verdun.

Des villages rasés par les allemands

Je me promenais avec quelques amis sur un sentier forestier moussu à travers Fleury-devant-Douaumont, un petit village niché dans le paysage pastoral du nord-est de la France. Il avait beaucoup plu la nuit précédente et il y avait encore une fine brume dans l’air. Une volée d’oiseaux cacophoniques se cachait dans la verdure luxuriante au-dessus de ma tête, leur chant animé juxtaposant le silence profond des dizaines de milliers de soldats inconnus qui gisaient dans le sol sacré sous mes pieds.

Ils étaient morts pour la France.

Pendant la Première Guerre mondiale, les soldats français et allemands ont complètement rasé neuf villages pendant la bataille de Verdun, la plus longue et l’une des plus féroces batailles d’artillerie de la guerre. Pendant environ 300 jours et 300 nuits en 1916, les troupes ont utilisé des canons géants – dont la fameuse « Grosse Bertha » de l’Allemagne – pour faire pleuvoir un barrage incessant d’obus sur la zone de combat. Les obus ont tellement contaminé la terre avec du plomb, de l’arsenic et des gaz toxiques mortels que la France a déterminé que la plupart des villages ne pouvaient être reconstruits. Pertes de guerre, on disait qu’ils étaient « morts pour la France ».

La Zone Rouge

Au cours des 100 dernières années, un seul des villages détruits a été reconstruit. Deux autres ont été partiellement reconstruits, mais les six autres, dont Fleury-devant-Douaumont, sont inhabités dans la Zone Rouge.

Après la fin de la guerre en 1918, le gouvernement français jugea que 1 200 km2 de terrains non contigus près de Verdun étaient trop dangereux à habiter et trop coûteux à réhabiliter. Bien que personne ne vive dans aucune partie de la Zone Rouge et qu’une grande partie soit encore considérée comme trop dangereuse pour les visiteurs, la loi française reconnaît les villages détruits comme des municipalités – il y a même des maires désignés qui reçoivent l’argent du gouvernement pour recevoir des invités et préserver la mémoire de ce qui reste. Outre les villages, ouverts toute l’année et considérés comme sûrs à visiter, quelques musées et autres sites ont été érigés pour commémorer les soldats qui ont perdu la vie pour leur pays.

Juste à l’extérieur de la Zone Rouge, un petit musée privé, Romagne 14-18, raconte l’histoire personnelle d’une grande collection de souvenirs de guerre. À l’intérieur de la zone, au sud de Fleury-devant-Douaumont, le Mémorial de Verdun (un musée et mémorial ouvert en 1967 par le gouvernement) offre des expositions étonnantes qui donnent aux visiteurs un aperçu plus complet de la guerre.

A quelques minutes en voiture, la nécropole et l’ossuaire nationaux de Douaumont contiennent les restes squelettiques d’environ 130 000 soldats français et allemands. Situé sur une colline qui cascade la nécropole et l’ossuaire, un cimetière contient une mer de plus de 15 000 pierres tombales blanches – chrétiennes, juives et musulmanes – qui rappellent que les forces coloniales françaises ont joué un rôle déterminant dans la défaite des Allemands à Verdun.

Pourtant, même si ces sites méritent qu’on s’y attarde, ce n’est qu’en traversant les tranchées de Fleury-devant-Douaumont et de ses environs que j’ai commencé à sentir l’ampleur réelle de la guerre.

Un environnement meurtri

Le chemin que nous empruntions était une ancienne tranchée de communication. Une fois, des soldats ont fait des allers-retours sur le chemin en transportant des messages entre les bunkers. Aujourd’hui, d’anciens poteaux de ciment bordent encore certains tronçons de la route, qui est constamment menacée d’être engloutie par la forêt. Soudain, le sentier s’est terminé et nous avons atteint une petite clairière.

Attention !

L’avertissement de notre guide, l’historien Guillaume Moizan, s’entend quand il pointe du doigt des cordes torsadées de métal rouillé qui jaillissent du sol comme des racines. Nous nous tenions sur les ruines d’un bunker. De petites pierres et des aiguilles de pin étaient éparpillées sur la mousse qui recouvrait la structure. Moizan a pris une pierre et me l’a donnée. J’ai été surpris par son poids.

Du plomb. C’était une petite partie rouillée d’un obus explosé. Je l’ai roulé doucement entre mes doigts.

Les oiseaux qui se trouvaient au-dessus de la tête se sont tus. Je sentais battre mon cœur dans ma poitrine en regardant l’amalgame de métal, de mousse et d’aiguilles de pin sur le bunker. Une seule petite fleur rose poussait au milieu de tout cela. Dans ce mémorial en plein air, la vie trouve son chemin.

Certains historiens appellent la bataille de Verdun le « hachoir à viande » : des hommes en bonne santé ont été poussés dans la mêlée pour être mastiqués et déchirés par la machine affamée de la guerre. Les récits de première main de la bataille mentionnent que le ciel, épais de fumée âcre, était animé la nuit par un horrible feu d’artifice de coquillages bleu, jaune et orange flamboyants. Les morts ne pouvaient pas être retirés du champ de bataille, et les soldats vivants étaient obligés de dormir, de manger et de se battre aux côtés des cadavres puants et pourrissants de leurs amis.

Debout dans la forêt, il était difficile d’imaginer le carnage. Le cerveau de la bataille, le chef d’état-major de l’armée allemande, Erich von Falkenhayn, avait tenté de mettre fin à toute cette guerre sanglante en jetant son ennemi dans un piège où « les forces françaises vont se vider de leur sang », mais ce faisant, il a aussi failli saigner sa propre armée. Ensemble, les deux parties ont subi environ 70 000 pertes par mois, soit un total de plus de 700 000 personnes (on estime qu’entre 80 000 et 100 000 des morts sont toujours perdus dans la forêt).

Un devoir de mémoire

Jean-Pierre Laparra, maire de Fleury-devant-Douaumont, aide à maintenir en vie les fantômes de la guerre. Son arrière-grand-père s’est installé dans le village en 1909, mais a été évacué avec sa femme après que la guerre leur soit descendue dessus en 1914. Leur fils – le grand-père de Laparra – est resté pour se battre.

Il ne reste rien de Fleury-devant-Douaumont à part les ruines en pierre des fondations de quelques bâtiments. Laparra, qui vit à proximité, conduit souvent les visiteurs du monde entier à travers un chemin mince qui a été construit sur les ruines. En cours de route, il fait remarquer différents points de repère : l’épicerie, la fonderie, le forgeron. Il parle de la façon dont les habitants vivaient et note où les enfants allaient à l’école.

Les villages de la zone rouge « sont le symbole du sacrifice suprême », a dit M. Laparra.

Vous devez toujours savoir ce qui s’est passé dans le passé pour éviter de le revivre. Nous ne devons jamais oublier.

Après la fin de la guerre, des glands et des châtaignes furent ramassés sur le champ de bataille ravagé et envoyés par le maire de Verdun en Grande-Bretagne en souvenir de la bataille entre soldats français et allemands. Un couple a été planté dans les Jardins botaniques royaux de Kew, et d’autres ont été retrouvés dans divers endroits du Royaume-Uni. Aujourd’hui, ces arbres dominent le terrain.

Dans les villages fantômes de la Zone Rouge, la nature prospère également. Dans les décennies qui ont suivi la guerre, des millions de jeunes arbres – dont des milliers de pins autrichiens donnés en réparation de guerre par Vienne – ont été plantés dans et autour des tranchées creusées dans les cratères. Aujourd’hui, ces pins robustes partagent la terre avec certaines des mêmes espèces de chênes et de châtaigniers magnifiques qui ont fait leur chemin vers la Grande-Bretagne.

Olivier Gérard, directeur de la Fondation de l’Ossuaire de Douaumont et maire de Douaumont (autre village détruit, situé au nord de Fleury-devant-Douaumont), me dit : « La nature et la vie trouvent toujours un chemin.

Au cours d’un siècle, les arbres ont absorbé suffisamment de contaminants de la terre toxique pour permettre à d’autres espèces de flore de prospérer, et la terre regorge de vie. En effet, le paysage bucolique de la Zone Rouge se transforme en Zone Verte, bien qu’avec des niveaux d’arsenic dans le sol jusqu’à 35.000 fois plus élevés que la normale, la forêt est loin d’être intacte.

Pendant que nous marchions, Moizan fit une pause, se pencha et arracha un morceau de métal du sol : une fourchette. La pluie de la nuit précédente avait emporté la couche supérieure du sol, produisant des détritus de la guerre. En plus des coquillages, des plaques d’identité, des casques et même des os apparaissaient parfois. Nous avons regardé l’embranchement pendant quelques instants, et je me suis demandé à qui il avait appartenu. L’âge moyen des soldats qui se sont enrôlés dans la Première Guerre mondiale était de 24 ans. Le fils de quelqu’un a déjà mangé avec cette fourchette. Peut-être qu’il s’en servait aussi pour manger son dernier repas.

Les fantômes du passé

A l’orée de la forêt, nous sommes arrivés à une petite chapelle, construite après la fin de la guerre comme lieu de prière et de souvenir des morts. On l’a contournée, et j’ai été hypnotisée. C’est le seul bâtiment à des kilomètres à la ronde, et je me suis souvenu d’une comptine que mon beau-père, pasteur, m’a apprise quand j’étais enfant.

« Voici l’église », dit-il en cachant ses doigts dans ses mains. Puis, poussant deux doigts en forme de triangle, il continua : « Voici le clocher. » Enfin, en ouvrant les mains et en agitant les doigts, il s’exclama : « Ouvrez les portes, et voyez tout le monde ! »

En regardant l’église, j’avais l’impression de voir les fantômes des gens qui vivaient autrefois dans la région. Alors que nous partions, un vieil homme nous a doucement dépassés sur le chemin. Qui est-il, me demandais-je ? Un descendant d’un des soldats ? Ou peut-être un soldat retraité d’une autre guerre, là pour rendre hommage à ses frères ? Je regardais en arrière vers l’homme, vers l’église et au-delà, vers la forêt, qui se balançait dans le vent sur le champ de bataille en cratère. Le soleil s’était levé haut au-dessus des arbres et la forêt était baignée de lumière dorée. J’ai remarqué un certain nombre de jeunes bouleaux qui se tenaient ensemble comme des grêlons, leurs feuilles scintillant.

Je me suis rendu compte que je portais encore le morceau de métal que Moizan m’avait remis au bunker. Je l’ai laissé tomber lourdement sur le sol avec un bruit sourd. Quelque part dans les derniers vestiges du brouillard au-dessus de la forêt, une volée d’oiseaux s’est envolée. L’air était ponctué d’une folle ruée de plumes, puis les petites âmes s’élevaient et disparaissaient dans la lumière.

Laisser un commentaire